11.4.06

Place des Arts








Je ne sais pas si c’est pour cette raison que j’ai une affection particulière pour la Belle Province et que j’y suis retourné si souvent depuis, mais c’est au Québec que j’ai passé pour la première fois des vacances hors de France, voici une dizaine d’années.

Je ne connaissais rien de ce pays, ni sa géographie, ni son histoire, ni sa culture. Je connaissais bien quelques chanteurs et chanteuses dont les voix et les mélodies enchantaient diversement mes oreilles, mais par exemple, concernant la littérature, j’aurais été bien incapable de citer un seul écrivain québécois.

Pourtant, en ce mois de septembre 1995, alors que je me baladais avec mon ami Franck sur la rue Sainte Catherine et que nous nous étions aventurés chez Archambault, mon œil fut assez vite attiré par un livre mis en évidence au rayon nouveautés et qui affichait en couverture le « Jeune homme assis au bord de la mer » de Flandrin, si souvent utilisé, copié ou imité dans l’iconographie gay.

Cette reproduction associée au titre du livre « la Nuit des Princes Charmants » capta évidemment mon attention et je pris un exemplaire pour en lire ce qui était écrit au dos :

« Une soirée d'opéra qui se transforme en odyssée nocturne au cœur de Montréal, et voilà le narrateur de cette histoire, cynique Candide, courant à la perte... de sa virginité. Du café El Cortijo au cabaret des Quatre Coins du Monde, Michel Tremblay nous invite à refaire le parcours initiatique d'un jeune "beatnik" et à découvrir avec lui monde burlesque de folie et de transgression, où les passions se déchaînent, où partout éclatent le mensonge et la vérité dans l'urgence du désir. L’amour et le plaisir seront-ils au bout du voyage dans La Nuit des Princes Charmants ? »

Je reposais le livre, non sans un certain dédain, car j’ai toujours eu un rapport attraction-répulsion-interrogation envers toute notion de culture gay, et voir ainsi en peu de lignes évoquer une aventure qui pouvait autant résonner en moi me fit considérer aussitôt ce récit comme extrêmement dangereux pour mon moral.

Notre ballade sur Sainte Catherine nous mena ensuite vers la place des Arts et la salle Wilfried-Pelletier où se jouent les Opéras à Montréal. En apprenant que quelques jours plus tard aurait lieu la représentation d’une œuvre que je ne connaissais pas (« Fedora » de Giordano), je proposais à Franck d’essayer d’avoir des places, mais il me fit renoncer à ce projet, prétextant ne pas aimer voir sur scène un opéra qu’il ne connaissait pas et, surtout, s’inquiétant de son impact sur notre budget.

Quelque jours plus tard, alors que je regardais les informations à la télévision, la journaliste annonça qu’à l’occasion de la première de Fedora le soir même, elle était heureuse de recevoir Michel Tremblay qui venait justement de sortir un livre qui racontait l’histoire d’un jeune homosexuel allant à l’Opéra.

Question de la journaliste : «Pourquoi d’après vous les homosexuels sont-ils aussi fasciné par l’Opéra ?»

Réponse de l’écrivain : « Sans doute parce qu’on s’identifie fortement aux héroïnes désespérées de ne pouvoir vivre les amours dont elles rêvent, mais aussi parce que la diva qui sur scène dans son costume magnifique chante divinement ses sentiments les plus extrêmes représente pour nous la part de féminité à laquelle on aspire, la femme qu’on ne sera jamais, la drag-queen absolue ».

Bon, autant sur la fin je n’étais pas trop trop d’accord, autant la première partie de sa réponse me fit vive impression. Je n’avais jamais envisagé les choses sous cet angle et avais même toujours été un peu agacé par l’association automatique qui pouvait se faire entre l’opéra et les homos. Je me suis souvent demandé si le fait que j’aime l’opéra me colle automatiquement une étiquette ou bien si c’était ma sexualité qui me rendait sensible à l’art lyrique (en même temps à cette époque de ma vie ma sexualité à consistait essentiellement en une activité provoquant soi-disant la surdité…)

En plus je connais plein de gays insensibles voire allergiques à toute forme de vocalises.

Bref.

Deux jours plus tard j’achetai « La nuit des Princes Charmants », mais pas pour moi : pour l’offrir en souvenir du Québec à des amies parisiennes…

J’ai mis encore un ou deux ans avant de le lire moi-même.

Inutile de préciser que c’est aujourd’hui un de mes livres cultes, et que Michel Tremblay est l’un de mes écrivains favoris dont je suis en train de lire ou relire tous les romans et dont je vais reparler prochainement sur http://anecdotesetimpressions.blogspot.com/



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Article publié dans le cadre du Blog Crossing - Le Sage E. se lit généralement par là...

2 Partage(s):

Anonyme a dit...

J'ai eu à l'égard de ce livre la même réaction que la tienne à la lecture du 4è de couverture mais j'étais, à l'époque, tellement poussé dans le dos par des amis qui ne tarissaient pas d'éloges à l'égard de cette oeuvre. Résultat des courses, je suis, quelques années après, toujours sous le charme....

Alcib a dit...

Je devrais peut-être le lire, alors ;o)
Le théâtre de Michel Tremblay m'a toujours intéressé et j'ai vu plusieurs de ses pièces. Bien que j'aie beaucoup de respect pour l'homme et pour l'écrivain, je n'ai jamais pu aller au delà des premières de ses romans. Je suppose qu'au départ, la langue me rebute ; pas celle de ses personnages qui, eux, sont habituellement de gens modestes habitant des quartiers autrefois ouvriers (qui sont devenus ou qui sont en train de devenir rapidement des quartiers « où il faut vivre », concentration d'artistes, d'écrivains, de yuppies et de tout ce qui gravite autour), mais la langue du narrateur que j'aurais envie de réécrire à mesure que j'avance dans ma lecture. J'ai d'ailleurs vécu une expérience curieuse dans le genre : alors que j'étais lecteur bénévole à la Magnétothèque (il s'agit d'enregistrer sur cassettes ou sur disques compacts, pour les aveugles, les oeuvres littéraires et autres qui sont demandées), j'avais beaucoup de mal à lire exactement ce qu'avait écrit l'auteur, québécois comme Michel Tremblay, mais un autre : automatiquement, mon cerveau réécrivait la syntaxe qu'il trouvait déficiente ou maladroite (et dans ce cas, contrairement à Michel Tremblay, cet auteur n'essayait pas d'imposer à l'écrit une langue parlée typiquement québécoise et joualisante ; cet écrivain est d'ailleurs devenu, dans ses dernières années, membre de l'académie Goncourt).
Ce qui me détourne donc des romans de Michel Tremblay, je crois que c'est son univers, un univers que je côtoie tous les jours et que je respecte mais dont la transposition littéraire, du moins à la façon de cet auteur, ne représente pas suffisamment à mes yeux de pouvoir de séduction.

Pardon, E. - Manu, de n'avoir pas bien remarqué dès le départ que ce billet était de toi et non de khoyot ; certains détails m'avaient pourtant mis la puce à l'oreille...