5.4.06

La triple faute de Chirac

Force doit rester à la loi. La démocratie, c'est la loi des urnes et pas la loi de la rue, et encore moins celle des casseurs. Dans un Etat de droit donc, quand une loi a été votée par une majorité démocratiquement élue et a été validée par les plus hautes autorités juridiques du pays, "cela a un sens" : elle doit être promulguée. C'était le message de Jacques Chirac vendredi. Bien. Mais quelle est la valeur de la loi quand le pouvoir lui-même la viole ? C'est ce qu'il a fait avec le Contrat première embauche (CPE) : il n'a pas respecté sa propre loi votée l'an dernier, qui imposait une large concertation avant toute réforme du Code du Travail. Et que vaut ce rappel à la loi quand le pouvoir lui-même dit qu'une loi promulguée ne sera pas appliquée puis détricotée ? Cette incohérence entre le discours d'Etat et ses actes, ce "deux poids, deux mesures" - la loi, mais quand, comme et si ça m'arrange - n'a aucun sens politique. Et aucune valeur pédagogique, pour les jeunes singulièrement. C'est la première faute de Jacques Chirac.
La deuxième, l'Elysée l'a admise implicitement vendredi, et elle tient à un des fondements du CPE. Quelle est la valeur formatrice pour un jeune d'un licenciement sans explication ? Comment un jeune peut-il se forger une confiance en soi, une connaissance des réalités du monde de l'entreprise, un projet professionnel ou un parcours de formation motivants si dès la rupture de son premier contrat de travail, on ne lui dit pas pourquoi ? En quoi cet échec sera-t-il formateur dans la vie si ses raisons restent obscures ? Dans les relations professionnelles comme personnelles, le silence, l'ambiguïté, le soupçon ne sont jamais bons.
La troisième faute de Jacques Chirac tient à son oubli des conditions de sa réélection de 2002. Le fait d'avoir été réélu pour moitié par un électorat qui ne votait pas pour son projet politique mais pour son statut démocratique face à Le Pen ne le contraignait pas au "chèvre-choutisme" ou au consensus mou. Mais cela l'obligeait, lui et son équipe, à gérer le pays avec un sens permanent de l'écoute et un souci constant du dialogue. Jacques Chirac l'a oublié. A ce stade, la seule interrogation qui demeure - dérisoire, face aux dégâts causés -, c'est si cet oubli est dû à de l'inconscience, de l'irresponsabilité ou de l'incompétence.



Bernard Delattre, "La Triple faute de Chirac", éditorial de La Libre Belgique, lundi 3 avril 2006, p.24

1 partage(s):

Alcib a dit...

Ça m'a semblé assez juste pour que j'envoie ce texte à Jacques Chirac.

Mais de toute façon, il n'a pas attendu cette inconhérence pour usurper la légitimité.